Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
des bouts de Marionette
20 octobre 2007

Le paradis et la Peri (2/2)

Paris, le 14 octobre 2007

    Je rentre tout juste d'Alsace, il est 00h45 et j'ai, comme trois autres personnes, cinq heures de route dans les pattes. En comptant l'aller, ça fait 12 heures. Vendredi, nous avons mis deux heures pour sortir de Paris, et sommes arrivés une heure en retard à la répétition. C'était assez difficile d'être alerte après 7 heures de bagnole, serrés à 5 dans une voiture entre les instruments, les tenues de concert et les macarons pour le voyage !

 

    Il faisait beau là-bas. Samedi matin pour aller à la répétition, je portais un débardeur avec un gilet assorti, assez léger. Mon violon sur l'épaule gauche, mon sac par dessus, avec dedans un paquet de mikados pour mon quatre heures, je descendais la Grand' Rue. Le froid me saisissait, je sentais mon nez se rafraîchir, mes mains s'engourdir, sans pour autant y prendre garde. L'odeur de cette toute petite ville, de ses fleurs accorchées aux balcons ou dans la rue, du levain s'échappant des boulangeries, du café fuyant des troqués, l'odeur du matin, de la fraîcheur nocturne pas encore balayée par le soleil, parcourant pourtant le ciel depuis deux ou trois heures déjà... Je me réveille doucement, cette fraîcheur frémissante me sort de la léthargie matinale de laquelle, finalement, je suis contente de sortir. Et Dieu sait si c'est rare!

    Me voilà donc légèrement en avance à la répèt. Préparation du violon, colophane sur l'archet, et hop hop hop un petit coup d'oeil sur les quelques petits traits qui passent moyen. Ca va nettement mieux qu'il y a trois semaines.
    Après deux heures de boulot, j'étais sortie de ma chambre comme une furie en criant "aaAAAAARRRGH Schumann si j'te croise j'te refais mourir !". Ma logeuse m'avait donc gentiment invitée à partager son quatre heures avec un "ça a l'air ingrat, quand même, ce que tu joues". "Ouais. Ingrat, ouais. C'est le mot."
    Mais voilà, le travail que j'avais pensé improductif et vain s'avérait intégré et, oserais-je lâcher le mot, maîtrisé.
La répèt commence donc, concentration maximum de tout le monde. Le chef, dès la troisième mesure "Mais qu'est-ce que vous faîtes ? Pourquoi vous me mettez un accent là ?! Y'a besoin de rien d'autre que ce qui est écrit ! Comprenez ceci : Ca doit être lisse, terrible, on est en enfer, il fait chaud, il fait lourd, on ne bouge que si c'est nécessaire... vous voyez ?... Artung..." et voilà, c'était très très beau. On est arrivés à quelque chose de quasiment impossible à retrouver, une ambiance phénoménale de présence, de force et de précision. Le choeur en jette grave sa race. Je veux dire que c'était superbe. Je n'avais pas noté que la disposition des chaises de l'orchestre ayant légèrement changé, me retrouvant devant une petite estrade sur laquelle viendrait chanter un(e) soliste. Et bien, ça a fait son petit effet. Son grand effet devrais-je dire. Ah c'était... divin !
    Et comme il serait absolument impensable de parler de cet orchestre sans citer l'insulte number ouane du chef, en avant première m'sieurs dames, pour vous un bout de coulisses mouahaha : "BANDE DE SACS !". Imaginons un contexte (totalement inventé, hein!). Une violoncelliste coupe une note en deux : elle fait deux blanches au lieu d'une ronde. Bien sur, tout le monde n'entend que ça. Chef de s'écrier "Je bats à DEUX vous devriez le savoir! Et même si vous l'avez pas écrit vous le sauriez si vous me regardiez! Bande de sacs!" J'en connais une qui rentre sous terre...

    Quelques numéros à l'intérieur desquels certains intervalles chantés m'émeuvaient : 14, 17, 24, bien sur 26, mais aussi des passages où les premiers violons, en triolets dans les aigus, faisaient danser le personnage un peu triste qui était né quelques instants plus tôt. De ces moments où l'on se dit "C'est ça." C'est ça et rien d'autre. Puis déjeuner, encore au même restal, très bon. J'y oublie mon violon, et reviens le chercher quelques minutes plus tard. La générale va commencer. Les chanteurs arrivent en blanc. Installation, accordage, et ça commence. Je ne peux rien voir des effets qu'ont les éclairages sur le choeur. Je dois rester très concentrée parce que je suis encore pas très solide et qu'on doit tous être parfaitement ensemble. Le moindre coup d'oeil derrière me ferait perdre ma concentration, mon compte de temps à attendre, et l'énergie. Mais la bobine du chef nous renseigne tous sur la question : ça semble être fabuleux. La générale se passe très bien. On recommence une ou deux fois un passage à cause d'un départ bancal. En rangeant mon violon, je le nettoie avec soin. Soudain je lève la tête et aperçois un violoniste qui attendait que j'aie fini pour accéder à sa boîte. Je m'excuse en disant que je ne l'avais pas vu, il répond "Tu ne verras jamais un luthier interrompre quelqu'un qui prend soin de son instrument".

    On se change à côté, tout en noir, ma longue jupe qui tombe, mes chaussures à talons qui m'éclatent les pieds, un chemisier en cache-coeur pardessus un tee-shirt noir, maquillage... Je demande à une altiste, lui montrant mes cheveux :
- "Je peux y aller comme ça ou ça craint?
- Ben t'es pas coiffée quoi...
- Et en chignon, là comme ça, ça se voit pas... non? Toujours pas? (dis ouiiiiiiii)
- Euh... non, vraiment. J'ai pas de brosse, mais fais quelque chose, là c'est pas possible.
    Me voilà donc à démêler un tas de noeuds qui n'avait pas été apréhendé par un peigne depuis plusieurs semaines. Ben oui quoi, ça fait mal au crâne de se coiffer! Et puis ça enlève mes boucles. Effectivement, plus une boucle, les cheveux électriques et archi volumineux, super moche quoi. J'ai dû arranger ça à l'arrache et finalement ça allait, ça faisait pas trop Jackson five. Je monte sur mes talons aiguilles-spécials-concert (en gros je m'arrange pour ne porter ces chaussures que quand je n'ai pas à tenir dessus.)

 

    Le concert commence. On entre en scène. Applause. Le chef entre. Re-applause. Là, le chef se tourne vers l'assemblée pour faire un petit discours afin d'avertir les gens de ce qui va leur arriver dans les oreilles et dans les nieux. Le discours était long, parfois entrant un peu trop dans le détail, parfois bousculant les esprits # au point que des personnes de l'orchestre soient venues lui faire la réflexion à la sortie #. Sur ce, re-re-applause, lever de baguette, et nous voilà en enfer. "Il fait chaud, il fait lourd..."

    Deux heures superbes. Un arrêt tout de même entre deux actes pour se réaccorder. Quelques petites accroches qui ont valu des débats endiablés à la sortie : "Nan j'te jure c'est les violoncelles qui sont partis en avance nous on était calés sur le chef" ou "Non, je persiste, j'ai compté mes mesures, j'ai regardé le chef, tous les violoncelles étaient bien, c'est le premier pupitre des altos qui a tout fait merder." Ah lala, c'est vraiment des tocards ces altistes! (pataper, Djac...)
    C'était extraordinaire. Tous dans le même souffle, la même énergie, le même mouvement, la même dynamique, la même folie... on entendait même le silence de la salle, un silence implacable, solide, palpable. Tout simplement sublime.
    En sortant, nous étions "ailleurs". Je me cognais partout (et pas à cause de mes chaussures à talons), n'arrivais pas à atterrir, j'étais dans un état second. J'étais allée remercier mes logeurs qui avaient pu venir, quand, en revenant au pot offert aux musiciens, je croise le clarinettiste si marrant. La tête basse, le pas machinal, il partait. Je l'attrape par le bras : "Bah alors quoi ? Tu pars sans dire au revoir ?" Visiblement abasourdi, il lève ses yeux rouges vers moi et répond "Ah pardon Marion je ne t'avais pas vue, oui je m'en vais, je suis troublé, il faut que je parte. Au revoir..."

    Par chance, je n'étais pas seule sur la route du retour, et même si les Vosges ont maltraité notre estomac, le Mac Gerbal nous a remis les idées en place. Le Paradis et la Péri à fond dans la voiture, nous braillions gaiement, tentant sans y parvenir de nous remettre d'aplomb.


    Comment raconter ce qui fut le plus beau concert de ma vie ?


(en écoute : no 24/24 du Paradis et la Péri de Robert Schumann)

Publicité
Commentaires
M
Oui, et tu peux... je peux même pas te dire le contraire...<br /> peut-être qu'un CD va être fait, je ne sais pas encore.
S
Ah Marionette ! je t'envie d'avoir vécu cela !
Derniers commentaires
Publicité
Archives
Publicité