Le paradis et la Peri (1/2)
J'ai rejoint ce superbe orchestre pour le programme Le Paradis et la Péri de Robert Schumann.
Pour le plaisir des oreilles, voilà le numéro 11 de cette suite. C'est pas le plus simple, loin de là. D'ailleurs si vous faites gaffe, à un moment y'a une sorte de tapis sonore fait de doubles croches bienbien rapides pour faire mieux, ben c'est nous qu'on les joue. Qu'on est censés les jouons, plutôt.
On a répété comme des tarés tout le week end en Alsace.
Au moment de partir, vendredi, j'étais très inquiète. Les partitions, que j'avais reçu un peu plus d'une semaine auparavant, m'apparaissaient comme ce genre de truc trop dur qu'on appelle "mon Everest" ou, là, en l'occurrence, j'ai nommé "mon paradis". Je me posais sérieusement la question de ma présence là-bas. Mais finalement, la peur au ventre et rougissante à l'avance de mon incompétence, je suis montée dans le train.
Pour être brève, comme les répétitions sont au nombre de 1 week-end et demi (deux jours + une répet + la générale, après c'est les concerts), qu'il y a un orchestre de 60 musiciens et un choeur à peu près aussi nombreux dont 4 solistes, autant vous dire que le chef # qui n'a, même en temps normal, pas franchement l'habitude de glander ni faire semblant # nous a fait mettre les bouchées doubles.
J'étais logée chez des gens a-do-rables dans le centre du petit village où on jouera dans 3 semaines. Ils sont venus me chercher à la gare vendredi soir, m'ont filé une chambre super confortable qui donne sur un petit jardin qui sent bon le matin, c'était super. Le samedi matin, avant que je parte, ils m'ont donné un paquet de mikados au chocolat pour mon 4 heures j'ai trouvé ça adorable! D'autant que j'étais contente d'en avoir, vu la journée que je me suis payée.
La répétition commençait à 9h30, dans la nef d'un très vieux cloître magnifique.
Tous les musiciens étaient à leur place et prêts pour commencer à l'heure, le chef est arrivé à ce moment, on s'est accordés, et on a commencé le déchiffrage. Bon, pour moi un déchiffrage équivaut à une tentative, le plus souvent désastreuse, d'alignement de 5 mesures d'un coup sans s'arrêter et si possible au même tempo. Là, c'était plutôt "t'occupes pas des signaux mets du charbon" ; en gros, on s'est arrêtés quand une entrée a été foirée par un musicien, au bout d'une demie-heure... A 10h30, une pause de 10 minutes. Je prends ce temps pour dire bonjour à quelques têtes que je reconnaissais, au chef, à mon ancien prof de violon, ici concertmeister (le prem's de tous les violons). Je papote quelques instants avec le musicien qui est juste derrière moi et qui n'arrête pas de balancer des blagues à tout bout de champ. Bon, j'ai beau être aussi concentrée que possible et à l'écoute du chef qui est vraiment supra intéressant, quand il lâche une bonne blague bien vaseuse, je peux pas faire semblant de ne pas avoir entendu... et quand je me retourne vers le chef, qui me regarde d'un air de de dire "bon ça y est?", là je rougis. Tout l'orchestre est d'accord pour dire que je suis à une place très délicate : devant ce mec à l'humour désopilant, forcément à une place de laquelle on ne voit le chef que très mal, et à côté d'une dame qui n'arrêêêêête pas de parler et qui voit pas très bien # je lui laisse donc, par courtoisie, le pupitre devant elle, aux frais de ma colonne vertébrale mais j'ai compris qu'il fallait pas que j'essaye d'écouter tout ce qu'elle disait, sinon je démarre jamais # Bref, toutes ces constatations faites, revenons-en à notre récit. On reprend donc la répet pile à l'heure, et comme elle n'était censée durer que jusqu'à midi 30, l'accord final est tombé à midi 29 et demi. Voilà. Normal quoi. Typique. Le chef a déclaré "Il est midi 30. Merci, bon appétit et à tout à l'heure !"
L'après-midi a été consacrée au travail sur certains passages. Puis une pause nous a été donnée # quelle générosité... c'est touchant #, et enfin, nous avons répété par pupitres jusqu'à 21h. Là j'ai cru m'évanouir. Je n'avais jamais eu de répétition aussi crevante, à être toujours sur le qui-vive à guetter le moment où les bras du chef s'immobiliseraient pour donner un départ un quart de seconde plus tard à un tempo endiablé. Les chaises, très inconfortables bien qu'originales, avaient donné mal au dos à tout le monde, les épaules étaient fourbues aussi, d'avoir eu les bras en l'air si longtemps # Djac, stp ne me dit pas qu'il y a une position idéale qui fait que t'as jamais mal nulle part, parce que je me verrais dans l'obligation de t'en demander tous les détails... # et comme si ça ne suffisait pas, mes ptits soucis de fille me retournaient le bide depuis le milieu de la journée. En fait, samedi soir, j'étais au bord de la crise de nerf/évanouissement/crise de larmes/auto-destruction stomacale. Nous sommes allés au restaurant avec tous les autres musiciens comme prévu à 21h30. On s'est nourris de pain et de vin à défaut de voir nos assiettes se remplir, ce qui ne nous a pas empêché pour autant d'engloutir le délicieux plat qui est arrivé une heure après. Sortis de table à 23h30, c'est la première fois que je vois 0 musicien (pas même un seul cuivre!) prêt à aller boire une bière, surtout en Alsace ! On est tous allés se coucher, crevés.
Dimanche matin, la répet a commencé à 10 heures pétantes avec le choeur. C'est là qu'on s'est rendu compte de la trahison : c'est eux, ces espèces de crieurs d'étoiles, qui nous avaient piqué nos chaises-spéciales-pas-mal-au-dos, eux, les gens qui s'en servent qu'à moitié parce qu'ils chantent debout!!! Bref. On les leur a laissé, tout en étant absolument certains de faire l'échange en catimini avant la répet pré-générale qui aura lieu dans 3 semaines, ni vus ni connus. Quoi c'est pas honnête! C'est eux qui sont pas cool!
Dimanche matin donc, le chef demande le numéro 26, le dernier mouvement de l'oeuvre. Parés, il démarre comme un dingue. Trois temps plus tard, quelques personnes n'ayant pas pris le départ, le chef arrête les fabuleux musiciens qui avaient réussi ce prodige, et redonne le départ. C'était fabuleux. Les solistes démarraient un peu quand bon leur semblait mais à part ça, c'était que du bonheur. Il faut quand même une concentration en béton pour s'y retrouver dans la partition quand on a un choeur derrière soi, des changements de mesure à foison, accélérations, coups d'archets foireux et des dièses et des bémols comme en pleines soldes. En plus, déjà que sans le choeur j'entendais pas très bien ce que je jouais, mais là, on peut dire que c'est complètement mort. La répétition se termine de la même façon que la veille, pile poil à l'heure, et on file au restaurant.
Le restaurant avait prévu 60 personnes, on était 115.
On a pas eu un repas très consistant mais c'était très bon, et, franchement, bravo au cuisinier qui nous a quand même servi assez rapidement ! On a même pu reprendre la répet une heure trente plus tard. A 16h30, c'était terminé, à 45, les instruments étaient pliés et on partait pour la gare, l'aéroport ou en voiture, en fonction des destinations et moyens de transport de chacun. Et à dans trois semaines !
Si quelqu'un habite en Alsace vers Colmar ou Mulhouse, et que la musique classique lui est supportable, je l'invite à se faire connaître, je crois que ce sera magnifique, et qu'il faut qu'un maximum de personnes puissent en profiter.