Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
des bouts de Marionette
1 juin 2007

Qui sommes nous? Hommes ou singes?

Adrien (au public) - "Mathilde me dit que je ne suis pas tout à fait un homme, que je suis un singe. Peut-être suis-je, comme tout le monde, à mi-distance entre le singe et l'homme. Peut-être suis-je un peu plus singe qu'elle, et peut-être Mathilde est-elle un peu plus humaine que moi ; elle est sûrement plus rusée ; mais moi je cogne plus fort. Comme un vieux singe accroupi au pied d'un humain qu'il contemple, je me sens bien dans ma peau de singe. Je n'ai pas envie de jouer à l'humain, je ne vais pas commencer maintenant. D'ailleurs je ne sais pas comment on fait, je n'en ai que trop peu rencontré.
     Quand mon fils est né, j'ai élevé de grands murs tout autour de la maison. Je ne voulais pas que ce fils de singe voie la forêt et les insectes et les animaux sauvages et les pièges et les chasseurs. Je n'enfile mes chaussures que pour l'accompagner dans ses sorties et le protéger de la jungle. Les singes les plus heureux sont ceux qui ont été élevés en cage, avec un bon gardien, et qui meurent en croyant que le monde entier ressemble à leur cage. Tant mieux pour eux. Voilà un singe de sauvé. Mon babouin à moi, du moins, je l'aurai protégé.
     En cachette, les singes aiment à contempler les hommes, et, en douce, les hommes n'arrêtent pas de jeter des coups d'oeil aux singe. Parce qu'ils sont de la même famille, à des étapes différentes ; et ni l'un ni l'autre ne sait qui est en avance sur qui ; personne ne sait qui tend vers qui ; sans doute est-ce parce que le singe tend indéfiniment vers l'homme, et l'homme indéfiniment, indéfiniment vers le singe. Quoiqu'il en soit, l'homme a davantage besoin de regarder le singe que de regarder les autres hommes, et le singe de regarder les hommes que les autres singes. Alors ils se contemplent, se jalousent, se disputent, se donnent des coups de griffes et des coups de gueule ; mais ils ne se quittent jamais, même en esprit, et ils ne se lassent pas de se regarder.
     Quand Bouddha rendait visite aux singes, il s'asseyait aumilieu d'eux, le soir, il leur disait : Singes, conduisez-vous comme il faut, conduisez-vous en humains et non pas en singes, et alors, un matin, vous vous réveillerez humains. Alors les singes, naïfs, se conduisaient en humains : ils essayaient de se conduire comme ils croyaient qu'il faut qu'un humain se conduise. mais les singes sont trop bons et trop bêtes. Alors, tous les soirs ils espèrent, ils se couchent avec le doux et tranquille sourire de l'espoir. Et tous les matins, ils pleurent.
     Je suis un singe agressif et brutal, et je ne crois pas aux contes de Bouddha. Je ne veux pas espérer le soir, car je ne veux pas pleurer le matin."

Un extrait du Retour au désert, de Bernard-Marie Koltès. Monologue d'Adrien.
C'est le doyen de la classe qui a le privilège de faire ce monologue pour le 25...

Publicité
Commentaires
Derniers commentaires
Publicité
Archives
Publicité